Alors que le parcours d’un marin se retrace généralement à travers des documents administratifs rassemblant des éléments biographiques ou des faits liés à sa carrière professionnelle, voici un récit plus personnel livré par le contre-amiral Boisse. Dans un « journal de bord » écrit de sa main, il nous livre ses impressions et observations lors d’un voyage qui va marquer sa carrière.
Né en 1848 à Blaye dans le Tarn, le contre-amiral Boisse meurt à Bozouls en Aveyron le 28 avril 1926. Il est descendant d’une famille remarquable, notamment par le biais de son père, Adolphe, ingénieur, géologue, directeur des mines de Carmaux (Tarn) mais aussi député puis sénateur de l’Aveyron.
Engagé dans la marine en 1865, son parcours sur différents navires peut être facilement retracé par une simple recherche sur internet. Cependant, ce qui est intéressant, c’est le récit de son parcours via son journal de bord.
Les journaux de bord sont des documents administratifs renseignés par les officiers afin d’y préciser notamment les conditions météorologiques, les routes, les événements à bord, les consignes, etc.
Mais l’administratif ne fait pas place aux sentiments…
Le contre-amiral Boisse va décider d’écrire, probablement au fil de l’eau, et peut-être compléter à postériori, un journal de bord qui s’apparente à un journal intime. Moyen de se détendre ou de s’occuper, défouloir, outil cathartique, recueil de souvenirs ? C’est le seul de ses récits qui a été publié… probablement parce que ce voyage a été atypique : le bateau a fait naufrage, et l’officier a dû justifier de ses actes devant le conseil de guerre maritime.
Le navire s’appelait l’Hermitte. C’était un « aviso neuf, armé de sept pièces de canon, portant cent soixante hommes d’équipages, y compris un état-major de onze officiers ou aspirants. » Il quitte le port de Toulon le 18 juillet 1873. Dans la nuit qui suit, une mauvaise estimation de la vitesse et la distance le fait percuter le brick anglais Fred Thomzon, chargé de pétrole. L’aviso doit alors remorquer jusqu’à Barcelone (le port le plus proche) sa victime avant d’être contraint de revenir à Toulon pour réparer ses propres avaries.
Certains hommes n’ont plus confiance, ils quittent le navire. L’officier en cause de l’accident est diagnostiqué malade, mais le docteur ne compte pas le débarquer. Si besoin, ils « trouveront des paquebots pour le renvoyer en France. – Et s’il meurt, chuchote un des assistants, il y a des planches à bord pour lui faire un cercueil. »
Mais c’est encore une erreur humaine qui va causer la perte de l’Hermitte dont le naufrage surviendra en 1874 au large de Wallis et dont le récit est publié (et relayé dans la presse) en 1913.
Vous pouvez consulter le journal de l’Aveyron numérisé sur le site des archives départementales de l’Aveyron pour en connaitre les détails… mais le journal de bord qui précède le naufrage n’est pas numérisé, voici ce qu’il contient.
Le contre-amiral Boisse n’écrit pas au quotidien mais chaque jour où il se passe quelque chose : arrivée ou départ d’un port, anecdote à bord ou en mer, instant de confidence ou de partage.
Le récit commence par des éléments descriptifs : on connait la taille précise des lieux où les hommes vont vivre pendant 30 mois. Mais, très vite, Boisse nous explique sa vision des rapports humains, tant en mer que pendant les temps de repos à terre.
La fin du journal est, elle aussi, très détaillée. Exclusivement basée sur les îles, elle retrace des conversations, des légendes et des observations sur la population et ses traditions.
Les manœuvres sont décrites dans le journal comme si on était à bord ; preuve probable d’une rédaction à postériori et destinée à un public plutôt qu’à des mémoires personnelles. D’ailleurs, les termes techniques y sont expliqués par l’aide de note.
Les avaries ont empêché de faire relâche à « Santa Cruz de Teneriffe », étape qui est remplacée par celle de Dakar, « beaucoup moins agréable ». Il faut faire le plein de charbons pour permettre la traversée de l’océan à direction de Rio. D’ailleurs, pendant quelques jours, on navigue à la voile pour économiser le charbon…
Plus loin, on enlève le canon de 16 centimètres de l’avant (le plus puissant) pour le poser au milieu du bateau. La navigation étant rendue difficile par une saison mauvaise, cette manipulation a permis d’alléger le navire et donc de ne pas perdre du temps pour rejoindre le port suivant.
Avec des courants marins, des fortes pluies, et une période restreinte pour passer un détroit souvent obstrué de glaces, la navigation demande des compétences que les officiers ont acquises à l’école ou par expérience. Boisse fait éviter un probable échouage sur l’île Malpelo grâce à son observation attentive des étoiles…
Les temps de pause sont l’occasion de croiser d’autres populations. A Rio, l’aviso français mouille à proximité d’un navire de guerre anglais. On se croise, on chante, on échange. « Bonsoir » disent les Anglais quand le couvre-feu survient. « Good night ! » leurs répondent les français.
Au cap des Vierges, l’aviso voisin est chilien. Un des hommes d’équipage essaye de communiquer en provençal, le Docteur ne sait dire que « Si ». Seul Boisse a des notions d’espagnol (grâce à la lecture de Don Quichotte ! ), rendant ainsi possible la communication avec ces marins.
Arrivé à Tahiti, Boisse nous donne une explication précise sur les différents sons, notamment la formule de salutation ia ora na qu’il traduit par « sois sain là. » D’ailleurs comment prononcer le nom du lieu ? « C’est Tahiti , en aspirant légèrement la deuxième syllabe : hi. Ces aspirations font varier le sens des mots, tout comme en anglais « hit » diffère de « it ». »
Rio, cette ville fait rêver les marins. Certains l’ont déjà parcourue et donnent des conseils de visites aux moins expérimentés : l’Hôtel Boavista à Sao Domingo propose « bonnes chambres et bonne chère » mais semble un peu cher…
A Callao, près de Lima, les hommes sont invités à voir une course de taureaux, suivie par une parade de deux cents soldats.
A San José de Guatemala, les sœurs françaises montent à bord et engagent les officiers à visiter la capitale. Pendant ce temps, les hommes s’offrent des parties de chasse dans la forêt proche qui abonde en gibier.
A Panama, le consul apporte lui-même le courrier. Il invite les officiers à dîner puis à jouer à la roulette. Après le courrier, c’est la solde qui est payée. Chacun va faire des achats en ville et selon les conseils dudit consul, certains assisteront à des représentants d’actrices espagnoles, de passage en ville. Seuls 5 hommes vont avoir les moyens de s’offrir un voyage à travers l’isthme jusqu’à Colon-Aspinwall par le biais d’un train marchant : Boisse en fait partie et raconte son périple !
Fatigue, négligence, maladie, malveillance, espérance, gaieté… tous les aspects humains du huis clos sont dévoilés par Boisse.
A Rio, l’arrêt est plus long que celui prévu car deux marins en ont profité pour déserter ! Comme la police locale est impuissante, c’est le capitaine d’un voilier français voisin qui intervient. Il va, en personne, visiter les taudis de la ville pour retrouver les fuyards. D’ailleurs, il n’hésite pas à braquer sur eux son révolver pour qu’ils se rendent, se voient passer les menottes et soient réembarqués sur le navire ! Dorénavant, la petite embarcation qui a permis l’évasion sera arrimée à bord chaque soir… Un de ces hommes s’évadera une seconde fois avant de remonter à bord. D’autres s’enfuiront sans jamais revenir.
A bord, Cariou est souffrant. L’homme était dans un canot qui a été malmené par une vague. Il a bu de l’eau de mer et a failli se noyer. Pour se reposer, il est resté couché au soleil et a pris mal. Le docteur pense qu’il a la fièvre jaune. Carriou meurt trois jours plus tard.
Guillou ne sait pas nager. Cependant, il doit rejoindre, depuis la plage, le canot qui est à l’eau. Deux de ses camarades le place entre deux avirons et nagent en le maintenant hors de l’eau. Plusieurs fois, il sera recouvert par une vague, mais il finira par atteindre le navire sans se noyer.
Le cuisinier est, par ailleurs, « au-dessous de tout ». On lui a ordonné d’ouvrir une terrine de foie gras pour offrir aux invités tahitiens… or il a fait cuire la conserve ! Il ne reste, en guise de terrine, qu’un plat contenant un liquide noirâtre !
A la baie de l’Isthme, une pirogue accoste le navire. « Au centre, un feu est allumé autour duquel de pressent une demi-douzaine d’indigène des sexes et quelques enfants. » Ils viennent quémander du biscuit, du tabac, des vêtements….
Les chinois sont très fréquents dans les îles. Ils font un peu tous les métiers et pas forcément les plus nobles … Eux aussi ne sont pas très riches, mais ils ont un incroyable sens du commerce.
A Panama, les habitants se rejoignent dans des baignoires naturelles. Les officiers en font de même. « Ils rencontrent beaucoup de femmes et de jeunes filles qui reviennent après le bain, les cheveux dénoués. […] Pas un homme ne les accompagne. »
Sur les îles, les jeunes filles semblent très belles aux yeux de Boisse. Mais on lui a conseillé de ne pas flirter !
Les rencontres, c’est aussi dans le journal de Boisse les animaux exotiques, les tortues, les moustiques, et le chien d’un autre navire qui rejoint L’Hermitte.
La mission de ce voyage était de visiter les iles de l’Océanie, d’y protéger les missionnaires et d’entretenir les bonnes relations entre la France et les indigènes placés sous le protectorat français.
Le navire prendra à bord plusieurs missionnaires dont certains seront déposés à Aspia. Le père Rondel, montera lui à bord pour rentrer en France… avant une dernière étape prévue pour Wallis.
Le 27 juin 1874, l’Hermitte reprend la route pour les Wallis « Nous portons à la Reine une baleinière dont le gouvernement lui fait cadeau. Notre séjour sera de quelque durée. »
Le navire fait naufrage. Le commandant et le contre-amiral seront convoqués devant le conseil de guerre et Boisse nous livrera un magnifique récit de ce voyage dans un second livre.
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