Voici l’histoire d’une institutrice pendant la première guerre mondiale à travers sa correspondance avec sa hiérarchie.
Elle est née en 1885. Peu importe son prénom, appelons la Angèle.
Après son brevet élémentaire, elle est nommée comme institutrice stagiaire dans un hameau de l’Aveyron en 1903. Un an plus tard, elle change d’école et est affectée dans un autre hameau ... un peu plus loin.
Le hasard fait qu’elle tombe amoureuse du facteur. Ils se marient et elle est rapidement titularisée. La vie pourrait être idéale car elle attend leur premier enfant, sauf que sa nouvelle affectation l’éloigne de son mari. C’est là que commence la correspondance.
Janvier 1912, alors qu’elle vient de rejoindre sa nouvelle école, elle écrit à l’inspecteur d’académie. « Je souhaite être nommée sur la ligne d’Espalion à Millau pour qu’il y ait un bureau de poste pour occuper plusieurs facteurs et où mon mari pourrait être nommé. »
Son vœu va être exaucé, elle est affectée à l’école de B., mais le 19 septembre 1912, elle envoie une nouvelle lettre. « Nous voilà enfin réunis mais les déplacements ont épuisé nos économies. » Elle demande un secours.
La guerre éclate. Elle reste seule avec ses deux filles dans une école où presque tous les enfants ont vu leur père partir sur le front. La vie est compliquée. Elle envoie probablement une nouvelle lettre (non conservée) car elle est détachée dans une école à Espalion, auprès de sa famille. En ces temps de guerre, c’est presque un privilège.
Mais à la rentrée de septembre 1917, il lui faut une réponse. Peut-elle rester détachée à Espalion, ou doit-elle remonter dans le hameau de l’Aubrac ? Car les déplacements coûtent cher.
On est le 23 avril 1918 et Angèle n’est pas contente.
« A mon départ de B., j’ai laissé la clef de l’école des filles et de mon logement à l’instituteur. Je viens d’apprendre que malgré l’opposition de l’instituteur, Monsieur le Maire de B. a transformé la salle de classe en boulangerie et, fait plus grave, il a installé un garde forestier dans ma cuisine où se trouvait mon matériel qu’on a déménagé dans mes chambres, parait-il, sans ma présence et sans mon autorisation.
N’étant que détachée à l’école d’Espalion où je ne suis pas logée, j’ai laissé tout mon mobilier dans mon logement de B. auquel je dois avoir plein droit.
Je proteste, Monsieur l’inspecteur d’académie, contre un tel abus qu’on prétend être un cas de force majeure.»
Comme l’a-t-elle su ? Grâce à la lettre de la fille de l’instituteur
« Chère Madame,
Mr le Maire est venu hier nous demander la clef pour visiter votre local afin d’y installer un garde forestier qui se trouve pour l’instant sans logement. On vous a déménagé la cuisine, le tout a été monté en haut et on vous a fermé les chambres à clef.
L’école a été transformée en boulangerie. Melle M. (la mère à Mme F.) s’est chargée de faire le pain. Papa a fait opposition mais on a prétendu que c’était un cas de force majeure. Si toutefois vous n’étiez pas libre pour monter, vous pouvez être sans crainte, on veillera à tout comme par le passé.
Nous allons tous très bien.
Un gros baiser à vos deux fillettes. »
La lettre de l’institutrice à l’inspecteur d’académie est transmise au préfet qui a autorité sur le maire. Ce dernier doit rendre le logement à Angèle qui est susceptible de reprendre les cours le 1er octobre.
Le maire répond
« J’ai l’honneur de répondre à la lettre que vous m’avez adressé le 28 avril dernier concernant l’installation que j’aurais arbitrairement faite d’un garde forestier dans les appartements de Madame l’institutrice.
Il n’a jamais été dans l’intention du maire de B. de déposséder Mme l’institutrice de la demeure qu’elle occupait à B. avant son départ pour Espalion. J’avais seulement fait appel auprès d’elle aux sentiments de solidarité sociale qui doivent nous animer tous dans les moments difficiles que nous traversons, en la priant de vouloir bien permettre qu’un malheureux garde forestier qui nous arrivait à l’improviste du fond de la Savoie avec sa femme et un enfant au berceau, peut trouver asile pendant un mois seulement dans le local qui tient lieu de cuisine.
Il me parait si évident que ma demande serait agréée que je n’ai pas attendu la réponse pour faire cette provisoire installation.
Les quelques meubles appartenant à Mme l’institutrice, d’ailleurs fortement détériorés par l’humidité, ont été soigneusement rangés dans un placard fermé à clef et Mr Aubry, garde forestier a été installé momentanément dans la cuisine de l’école.
Je constate que je me suis fortement trompé sur les sentiments de solidarité et de charité de Mme l’institutrice. Ces sentiments, elle me parait les ranger dans la catégorie des vieilles rengaines.
Mais qu’elle veuille bien se rassurer, car nous avons trouvé une autre habitation au garde forestier, toutefois cette habitation ne pourra être livrée que dans 15 jours environ, le propriétaire ayant demandé le délai approximatif d’un mois pour faire les réparations les plus indispensables. Donc, à la fin du mois de mai, Mme l’institutrice rentrera en possession de son appartement envahi et ses meubles seront rendus à leur humidité. »
Angèle répondra « Je n’ignore pas que mes meubles sont détériorés par l’humidité. Par cette constatation, Monsieur le Maire fait connaitre à Mr le Préfet l’état du logement. »
La fin du mois de mai est passée depuis longtemps...
Le 29 septembre 1918, Angèle écrit à nouveau à l’inspecteur d’académie.
« J’ai l’honneur de vous informer comme je vous l’ai annoncé par télégramme que je suis rentrée à mon poste. Ma cuisine et la salle de classe sont depuis quelques mois occupés par des réfugiés. Monsieur le Maire ne veut pas les loger ailleurs pourtant il y a des maisons inhabitées.
Des réfugiés repartis avaient été logés dans une pièce de l’école privée. Cette pièce est vide et cependant la directrice a reçu comme loyer ou dédommagement la somme de 70 francs. L’école libre a plusieurs salles et l’école n’en souffrirait pas si on y logeait les réfugiés qui occupent ma cuisine et ma classe.
Voyez Mr l’inspecteur de l’Académie quelle est ma situation ; je ne puis préparer la salle de classe pour la rentrée et je n’ai pas de cuisine pour les repas de mon mari en permission et de ma famille. Le déménagement et le voyage d’Espalion m’ont coûté 100 francs. Après de tels frais, Mr le Maire m’a répondu de demander un congé et de retourner à Espalion en attendant le départ des réfugiés qui ignorent eux-mêmes à quelle date il aura lieu.
Je vous prie, Monsieur l’Inspecteur d’Académie de vouloir bien faire le nécessaire pour que je puisse ouvrir l’école de filles au plutôt et que ma cuisine soit débarrassée ».
Pas de réponse, le 11 octobre 1918, elle relance l’inspecteur
« J’ai l’honneur de vous informer que je suis toujours dans la même situation. Depuis mon arrivée à B., aucune disposition n’a été prise pour débarrasser la cuisine et la salle de classe. Je suis obligée de reconnaitre que c’est un parti pris pour retarder l’ouverture de l’école de filles. Pourtant mes filles sont d’âge scolaire et une dame m’aurait déjà envoyé les siennes si j’avais eu la salle de classe libre.
J’ose espérer, Monsieur l’inspecteur, que vous voudrez bien faire le nécessaire pour que je puisse au plutôt commencer la classe. »
Le 16 octobre 1918, le mari est rentré, mais les réfugiés ne sont pas partis
« J’ai l’honneur de vous informer qu’aucune disposition n’est prise pour débarrasser le local scolaire. Pour ne pas refuser les premières élèves, je dois les garder dans ma chambre où je n’ai ni table ni tableau.
Mon mari vient d’être libéré, nous sommes obligés de rester tous avec ma famille dans la même pièce. Vous pouvez juger, Monsieur l’inspecteur, s’il m’est facile de faire la classe. Je vous prie, Monsieur l’inspecteur, de vouloir bien faire le nécessaire pour qu’il soit mis fin à une telle situation »
Le 22 octobre 1918, nouvelle demande d’Angèle
« J’ai l’honneur de vous informer que la salle de classe et ma cuisine sont toujours occupées par les réfugiés pourtant il y a d’autres locaux vides. Monsieur le Maire ne tient aucun compte des notes ou avis qu’il reçoit à ce sujet. C’est un vrai parti pris et c’est le bon moyen pour empêcher la rentrée des élèves.
Nous sommes obligés de nous tenir tous en chambre où je n’ai pas une seule table.
Voilà plusieurs jours que je garde les premières élèves que je n’ai pas voulu refuser pendant que le local scolaire serait enfin débarrassé et aucune disposition n’a été prise pour cela.
Je vous prie, Monsieur l’inspecteur, de faire le nécessaire pour qu’enfin la salle de classe et la cuisine soient débarrassées. C’est un va et vient perpétuel et il n’est pas possible de faire la classe dans une telle situation. »
C’est cette dernière lettre qui fera bouger les choses. Le préfet semonce le maire
« Je vous serais obligé d’urgence de procéder à l’évacuation des locaux scolaires et les rendre à leur destination normale.
Il ne doit pas manquer de locaux vacants à B., en tous cas je vous signale que vous pouvez imposer aux habitants la charge des réfugiés en attendant que vous trouviez un local vacant.
Je vous prierai de me faire connaitre la date à laquelle vous aurez rendu l’école à sa destination primitive. »
La date de libération des locaux n’est pas dans le dossier d’Angèle. Le réfugié a probablement repris la direction de la Savoie et l’école a pu reprendre dans de meilleures conditions.
Angèle et son mari ont obtenu une indemnité de 50 francs « pour aménagement du local qui avait été occupé en leur absence par les réfugiés.»
Le couple a ensuite eu 3 autres filles dont une morte en bas âge. Angèle n’a quitté le village que 14 ans plus tard pour finir adjointe dans un autre secteur du département.
Cette correspondance montre la possibilité qu’ont eues certaines institutrices d’être détachées pour se rapprocher de leur famille pendant la guerre. Il évoque aussi l’accueil, partout en France, de réfugiés... et d’une certaine guerre entre le maire et le personnel enseignant !
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