Jean est né en 1893. Il est donc de la classe 1913. Selon la loi du 7 août 1913, il est incorporé sous les drapeaux en novembre de cette même année.
En février 1914, il écrit à son oncle et sa tante résidant dans un village de Saône et Loire. Cette correspondance se poursuivra jusqu’à sa mort en juin 1918.
Au début hésitante, son écriture s’affinera et prendra en assurance au fil du temps. Jean écrit sur du papier à lettres mais aussi sur les cartes postales de correspondance militaire.
En octobre 1914, il se trouve dans sa caserne d’affectation et attend son départ pour le front. Ses collègues sont vaccinés contre la fièvre typhoïde. Comme il l’a déjà été au mois de mai, il n’est pas revacciné, ce qui l’arrange car « il fait assez mal : ils font 4 injections derrière l’épaule à 8 jours d’intervalle. »
En novembre 1914, Jean est sur le front avec le froid. Son oncle lui demande son avis sur la situation et a dû la comparer à la guerre de 1870.
« Il ne fait pas chaud aujourd’hui. Il a gelé. Nous n’avons pas eu trop chaud dans les tranchées. »
« Qu’est-ce que vous voulez que j’en pense, je crois que ce n’est pas encore fini et sans doute il en a encore pour longtemps et il ne faut pas comparer 1870 à aujourd’hui. Et les Allemands sont encore très avancés chez nous. Ils veulent Calais à tout prix, mais il faut pouvoir.
Comme il fait froid, les nuits j’ai mal aux dents et je ne peux pas les faire arracher. »
En décembre, le temps s’est dégradé, les maladies se propagent et le canon gronde. Noël est passé dans les tranchées.
« Pour le moment il y a beaucoup de malades qui entrent à l’hôpital. Je vais vous dire que la fièvre typhoïde commence à entrer dans les rangs de notre armée. » « Le canon n’a pas cessé de gronder pendant toute la journée. Ça devait se trouver où que nous étions avant de venir ici sur les hauts de Meuse. »
En janvier, Jean va bien mais il se méfie de tout.
« Il court des bruits que nous partirons sous peu aux avants postes, mais je pense quand nous irons nous le saurons pas longtemps rapport aux espions. Il est difficile de circuler dans la zone des armées mais il y en a toujours qui y circulent et qui nous espionnent. »
En février, il évoque la nourriture, et le pain allemand. Par ailleurs, il est témoin de l’exode des populations civiles.
« Nous sommes aux tranchées depuis hier au même emplacement que l’autre fois. »
« Il pleut ces jours là, il tombe même de la neige. Nous sommes mieux nourris et n’a rien à comparaitre à côté du pain des allemands. J’en ai mangé au mois de septembre au moment qu’ils avaient reculé et il était aussi noir que la cheminée, il était amer. »
« Nous avons été 10 jours en caserne à Commercy pour nous faire vacciner contre la typhoïde. » « La ville est bien approvisionnée et les gens de la ville ne mangent pas du pain de seigle. Ceux qui sont malheureux ce sont les évacués des pays envahis par les allemands et qui sont venus se réfugier chez nous. Ils venaient chercher à manger aux casernes. Ils n’ont même pas eu le temps d’emporter des effets pour s’habiller. »
En mars, le soleil est « épatant » mais les conditions ne sont pas très bonnes.
« Voilà 7 mois qu’ils couchent des soldats sur la même paille sur les fenils. Je vous promets que les poux ne manquent pas et que ce n’est pas difficile d’en attraper. »
En avril et mai, les combats font rage tant sur terre que dans le ciel. Les nouvelles des anciens voisins ou copains ne sont pas toujours bonnes. La guerre semble sans fin.
« Il fait beau pour le moment mais frais les matins. Les aéros volent constamment et nous nous cachons quand nous en apercevons un. »
« Le canon gronde sans cesse par ici et ce n’est pas encore fini.
« François est probablement prisonnier. »
« Nous sommes au repos maintenant et nous avons été 48 heures sans rien avoir à manger ni à boire, c’est long à attendre si longtemps surtout dans une chaleur pareille. »
« Quand pourrons nous dire que la guerre est finie. Voilà déjà longtemps que ça dure sans avoir d’autre idée de s’arrêter. Rien ne nous prouve que la fin est proche. »
En juin, la réception d’un colis réjouit le poilu et il tente de se reposer.
« Je suis dans un ravin où l’on peut se reposer 2 ou 3 jours. Nous sommes à l’ombre. »
« Je ne peux vous en mettre davantage, il nous est défendu de mettre des détails. Dans les tranchées, ça n’y sent pas beaucoup mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour empêcher de sentir mauvais. »
« Espérons qu’un jour nous aurons le bonheur de nous revoir tous réunis et vivre dans de meilleurs jours. Que Dieu le veuille ! »
Le 16 juin, Jean est rapatrié à l’arrière suite à ses blessures.
« Je pense que vous devez savoir que je ne suis plus au front. J’ai été blessé légèrement le 16 sans doute que c’est cette blessure qui m’a fait déclarer les rhumatismes. Pour le moment, je ne peux pas marcher et je ressens les douleurs aussi bien dans les épaules que dans les jambes.
C’était immanquable de ne rien attraper avec l’hiver qu’il y a fait et coucher presque la moitié du temps dehors, certains moments nous n’avions pas chaud.
Ce n’est plus la même chose qu’au bois d’Ailly, je trouve que j’y ai été assez longtemps et demande pas à y retourner. »
En juillet, il tente de rassurer sa famille et s’inquiète pour les récoltes. Ses lettres portent le tampon de l’hopital.
« Deux mots pour vous dire que je vais mieux. Ma blessure n’est presque plus rien à part les rhumatismes qui me tiennent toujours. Je serais encore trop tôt guéri. Je ne tiens guère à retourner voir les boches. Je les ai assez vu comme ça. »
« Nous sommes environ 140 et il y a déjà beaucoup. C’est presque la même vie qu’à la caserne. Tous les soirs c’est un chahut à n’en pas finir. »
« Nous sommes dans un beau pays. Plus beau que celui de la Meuse, nous n’entendons pas le canon d’ici. On peut être tranquille. »
« Il fait mauvais temps. Voilà quelques temps qu’il ne fait que tomber de la pluie tous les jours. Que vont devenir les récoltes, il n’y a personne pour les ramasser. »
Il quitte les sœurs au mois de juillet.
« Je sors de l’hopital vendredi. Nous partons beaucoup vendredi, il est probable que nous ne serons pas longtemps sans être remplacés. Nous sommes bien soignés, ce sont des religieuses qui soignent les blessés. »
Après quelques jours en permission, il attend son départ pour le front dans sa caserne d’affectation.
« Je ne sais pas le temps que je resterai au dépôt. Il doit en partir bientôt pour renforcer d’autres régiments .
“Nous passons la visite mercredi savoir si je ne serais pas à la 1ère catégorie.”
En décembre 1915, il est toujours à la caserne. Aucune lettre n’est conservée pour toute l’année 1916 à part au mois de juin une carte postale stipulant que sa santé est « excellente.»
En janvier 1917, Jean suit de nouveaux cours.
« Je suis toujours à un cours d’instruction. C’est pour apprendre à faire sauter les rochers. C’est assez intéressant, plus que n’importe quel engin de guerre car après la guerre je n’aurais pas besoin de canon ni de mitrailleuses. »
Sa dernière lettre conservée date de décembre 1917 et fait état d’une autre forme de guerre.
« Nous ne pouvons voyager que les nuits et ce n’est guère amusant avec des nuits aussi obscures que pour le moment et avec ce terrain aussi bouleversé que celui-ci et il n’y a pas à dire qu’il n’y a pas moyen d’y voir, il faut marcher quand même. On ramasse quelques bûches ce sont les avantages du métier.
Je dors la journée et la nuit je veille en attendant les boches, s’ils avaient quelquefois l’idée de nous rendre visite mais il est préférable pour nous qu’ils restent chez eux. «
« Nous sommes dans un abri où nous ne pouvons pas y faire du feu aussi bien la nuit que le jour ; la nuit la lueur parait et le jour ce serait la fumée et pour être tranquilles nous nous abstenons d’en faire. Il faut s’habituer à tout dans cette vie, heureusement que nous n’y avons pas froid et nous fermons bien les entrées avec une toile mais il faut constamment de la lumière. Nous sortirons d’ici aussi blancs que de la neige. On ne voit pas le soleil puisque le jour on ne peut pas sortir à moins qu’il y aie des brouillards. Ce n’est pas toujours intéressant la guerre et même jamais. Que de maux ne nous donnent-elles pas ! Et dire que ce n’est pas encore la fin. Mais j’espère quand même qu’elle n’est pas aussi éloignée qu’on le suppose car du train que vont les affaires je ne puis m’exprimer d’avantage. Vous devez comprendre ce que je veux dire et il ne faut pas être licencié pour y voir clair. »
Jean décède en juin 1918. Il avait 25 ans.
Sources: collection personnelle
© 2014 Généalanille - Article publié le 25 mars 2014
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