Témoignage d’un requis au STO en faveur d’un camarade aveyronnais. Ce dernier sollicite le bénéfice de la loi du 20 mai 1946 sur les réparations à accorder aux victimes civiles de la guerre.
« J’ai été requis au titre du STO par les autorités allemandes d’occupation le 23 janvier 1943. J’ai été dirigé le jour même sur Montauban et c’est au départ de Montauban par Linz (Autriche) que j’ai fait la connaissance de M.
Nous sommes arrivés à Linz le 24 janvier 1943 en fin de journée. Il avait neigé et il faisait très froid. Nous avons quitté le convoi et nous avons fait une marche dans la neige pour rejoindre le camp « LAG 53 », sis à 3 kilomètres environ de notre lieu d’arrivée. Pendant le trajet, nous avons du chanter, sous la menace de nos gardiens.
Arrivés au Camp, nous avons été conduits dans des baraquements en bois dans lesquels étaient installés des lits en bois superposés. Nous étions 22 ou bien 24 par baraquement. J’ai été installé sur la couchette supérieure et M. sur la couchette inférieure. Nous couchions sur un matelas en paille ou en crin et nous disposions de 2 couvertures.
Au centre du baraquement était installé un poêle mais nous n’avions pas de combustible pour le garnir et l’alimenter. Nous étions obligés de voler du charbon (des briquettes), avec tous les risques que cela comportait pour le faire fonctionner. Nous volions ce charbon lorsque nous descendions du poste de nuit, alors que nous traversions un triage, pour aller du lieu de notre travail au baraquement. Nous mettions ce charbon dans nos poches ou bien nos musettes lorsque nous en avions.
Nous étions employés dans une usine de fabrication de chars de combat. Pendant une semaine, nous occupions le poste de jour, c’est à dire de 6 heures du matin à 18 heures, puis pendant la semaine suivante, le poste de nuit, c’est à dire de 18 heures à 6 heures du matin. Nous étions de repos le jour de changement de poste.
En ce qui me concerne, je travaillais en qualité de soudeur à l’arc dans un grand bâtiment, à l’intérieur. Quant à M., il était employé en qualité de chauffeur de véhicule et travaillait à l’extérieur, par n’importe quel temps. Il faut signaler que cet hiver 1943-1944 a été particulièrement rigoureux.
M. était soumis aux mêmes horaires que moi-même. Nous étions très mal nourris en fonction du travail qui nous était imposé pendant douze heures.
Par exemple, lorsque nous assurions le poste de 6 heures à 18 heures, nous nous levions vers 5 heures, nous prenions un peu de café et nous prenions le quart de la boule de pain noir qui nous était remis. Nous partions à l’usine à pied, distante de 4 km environ du camp.
Vers 8 heures, nous avions ¼ d’heure de pause pour le casse-croûte. Nous mangions un morceau de pain qui nous avait été remis le matin.
A midi, nous avions ¾ d’heure pour manger. Nous allions dans un baraquement qui servait de cantine et on nous servait une gamelle de soupe. Il s’agissait d’eau dans laquelle des légumes avaient été cuits. Cette soupe n’était pas consistante.
A 18 heures, nous quittions l’usine pour rejoindre le camp, à 4km de là. Je précise que des autobus transportaient les ouvriers allemands à l’usine, mais il nous était formellement interdit de les utiliser sous peine de sanctions.
Arrivés au camp, nous avions une gamelle de soupe, de même nature que celle qui nous était servie à midi, accompagnée, soit de pommes de terre, soit de blettes ou autres légumes, mais uniquement cuits à l’eau, ainsi qu’une cuillerée à soupe de confiture.
Pendant la durée du poste de nuit, nous avions ¼ d’heure de pause, vers 1 heure du matin, pour le casse-croûte, mais nous n’avions pas de supplément de nourriture. Nous devions manger un morceau du pain que nous avions eu le matin, si toutefois il nous en restait.
Nous étions autorisés à recevoir des colis, mais, de crainte qu’ils ne parviennent pas à destination, nous n’en demandions pas à nos familles, lesquelles, en cette période de restrictions, ne pouvaient nous en envoyer sans se gêner.
Il est à signaler également que pendant les bombardements, et ils étaient nombreux, il nous était interdit de pénétrer dans les abris de la ville. Nous devions nous abriter dans ceux de l’usine, simples tranchées creusées dans la terre et recouvertes de terre.
Début 1944, M., déjà sujet à des quintes de toux parfois violentes, et à des étouffements, a été envoyé à Wiener Neustad où il a été occupé à de durs travaux de fortifications et de terrassement. Il a été absent pendant 6 mois environ, puis il est revenu à Linz et affecté au « LAG 51 ».
J’ai retrouvé mon ami avec plaisir, mais j’ai pu constater qu’il avait beaucoup changé. Très amaigri, il était très souvent fatigué et malade et respirait avec beaucoup de difficultés. Il m’a dit avoir beaucoup souffert pendant son séjour à Wiener Neustad.
Enfin il convient de souligner que nous étions très mal soignés. Ainsi, par exemple, j’ai été moi-même blessé en travaillant.
Lors d’un poste de nuit, vers une heure du matin, j’ai reçu sur le bord du pied, une plaque de blindage de 35 à 40 m/m d’épaisseur, pesant environ 200 kg. J’ai du attendre toute la nuit sur place, dans l’usine, avec l’autorisation tout-de-même de ne pas travailler. J’ai du ensuite rentrer au camp, à pied, et faire ainsi blessé 4 km à pied. J’ai mis près de 3 heures pour faire ce trajet. J’ai été visité le matin même par un médecin à l’infirmerie du camp, mais le médecin ne m’a pas prescrit de jours de repos. J’ai du, le soir même, reprendre le travail à l’usine.
Le soir donc, j’ai du refaire 4 km à pied pour aller au travail. Le lendemain, je suis allé à nouveau voir le médecin du camp, avec l’autorisation de mon chef d’équipe qui était allemand. J’ai été radiographié et, bien qu’aucune fracture n’ait été observée, le médecin m’a prescrit un arrêt de travail mais de 2 jours seulement.
Après ces deux jours de repos, et malgré l’enflure de mon pied et de ma cheville, j’ai du reprendre le travail dans les mêmes conditions, c’est à dire aller et retour à pied du camp à l’usine et vice-versa.
Nous avons été libérés le 5 mai 1945 par la 3ème armée américaine du général Patton. M. se trouvait toujours à ce moment là au « LAG 51 ».
J’ai perdu de vue M. après notre libération, et je ne l’ai retrouvé que dans le courant de l’année 1945, époque à laquelle je me suis fixé dans la région.
J’ai constaté à cette époque là également qu’il était malade et qu’il souffrait beaucoup des suites de son séjour en Allemagne. »
Ce témoignage a été recueilli vingt ans après la fin de la guerre par un officier de police judiciaire dans le cadre d’un dossier administratif. Il est retranscrit ici intégralement, seuls les noms ont été rendus anonymes.
© 2021 Généalanille Article publié le 14 juillet 2021
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