Louis Brunet achète le café du pont à Saint Geniez d’Olt le 20 mai 1875 pour 11000 francs à Antoine Mignonac, camionneur de la gare de Millau qui en a hérité de son père. Trois locataires sont présents dans l’immeuble au moment de la vente : Mr Boyer limonadier, Mr Chauchard agent voyer et Melle Izouis couturière.
Il exerce sa profession pendant 25 ans avant de céder son fonds de commerce verbalement le 14 Juin 1900. Il faut dire qu’il est seul maintenant : sa femme est morte en 1896 et ses deux filles sont mariées (une en 1894 avec le notaire et maire de Prades, l’autre en 1899 avec un propriétaire de St Geniez).
Alphonse Raust et sa femme Honorine Pagès sont les heureux locataires du café du Pont à Saint Geniez d’Olt. Ils ont signé avec leur propriétaire, Mr Brunet, un bail sous seing privé en mai 1902 et doivent s’acquitter d’un fermage annuel de 550 francs.
Le café est bien placé, près d’une place et à côté du pont qui enjambe le Lot. Au dessus du café se trouvent deux étages et un galetas mansardé. Au dessous du café, un sous sol sert de cave.
Le 25 mai 1906, Mr Brunet vend sa propriété à Emile Crouzet. L’acte est signé sous seing privé pour un montant de 12 500 francs. Le nouveau propriétaire est informé de la présence des cafetiers Raust qui connaissent bien les lieux et n’ont posé aucun souci depuis leur arrivée.
Mr Servan, entrepreneur de travaux publics vient habiter le 2 ème étage jusqu’à Noël 1906, puis les Crouzet s’installent à sa place.
C’est le 29 avril 1907 qu’est envoyée une première lettre recommandée par les locataires à Mr Crouzet. Les cafetiers se plaignent de mauvaises odeurs dans les toilettes du 1 er étage et demandent à ce que des travaux soient engagés. Un mois plus tard, les odeurs persistent et les Raust engagent une procédure en justice.
Mme Raust déclare que Mr Trousselier ancien locataire les avaient prévenus qu’il y avait un problème d’odeur dans les cabinets et que lui et sa famille avaient arrêté de s’en servir. La famille Raust les a utilisé pendant 4 ans comme porte manteaux mais les habits sentaient trop mauvais, ils ont été obligés de les sortir.
Par ailleurs les cafetiers se plaignent de l’état du balcon qui donne sur le Lot et où les clients vont parfois consommer. Les plâtres sont dans un tel état de vétusté qu’ils doivent dorénavant empêcher l’accès à ce balcon.
De plus, ce balcon est surmonté d’un balcon où habitent les propriétaires et les enfants laissent s’écouler de l’eau ou font tomber des objets là où consomment les clients. L’un d’eux a failli être blessé par une planche échappée par la fillette Crouzet.
Enfin, lorsqu’il a fait des travaux, le platrier qui plaçait des carreaux a laissé des morceaux de verre sur la terrasse vers 11H. C’est l’heure où le café se remplit de clients et ces derniers ont pu être gênés.
Les cafetiers réclament donc 500 francs de dommages et 2 francs par jour de retard à leur propriétaire.
Le juge de paix nomme Camille Vincent , négociant à St Geniez, comme expert pour déterminer d’où viennent les odeurs. Celui-ci doit prêter serment et rendre son rapport sous 15 jours. Il refuse ce rôle et Mr Scinpaul de Campagnac est nommé à sa place. Il prête serment le 7 juin 1907 et doit rendre son rapport avant le 22 juin, date de la prochaine audience.
L’expert n’a pas pu rendre son rapport, l’audience est reportée au 20 juillet 1907 puis au 7 septembre 1907 !
Le 17 aout, Mr Scinpaul a enfin accompli sa mission. Son rapport est lu aux deux parties le 24 aout 1907.
1° il y a une odeur qui rend les cabinets inutilisables. Les anciens propriétaires reconnaissaient un vice de construction et avaient bouché l’orifice avec une planche. L’odeur est apparue depuis que Mr Crouzet est arrivé et qu’il se sert des privés du 2 ème étage. A la question des dommages, il est répondu que si le 2 ème étage se sert des toilettes, il n’y a pas de raison que le 1 er étage s’en prive.
2° l’odeur se répand dans les pièces voisines et malgré le fait d’ouvrir souvent, le linge et le mobilier est imprégné. Le propriétaire affirme que le problème vient de l’entretien puisqu’il n’a pas de souci d’odeur au 2 ème étage.
On ne peut pas envisager l’utilisation d’un système avec syphon car ces appareils ne sont utilisables que si le bassin est toujours alimenté alors que Saint Geniez n’a pas de captation d’eau.
Mr Crouzet propose alors un nettoyage complet et la fermeture des toilettes pendant 8 jours. Il avait proposé quelques mois plus tôt de reboucher le trou à ses locataires mais ceux-ci l’en avaient empêché.
L’audience suivante a lieu le 7 septembre 1907 et le juge de paix décide de nommer un contre-expert . C’est Mr Guibal, conducteur de ponts et chaussées à Espalion qui est choisi. Il a 20 jours pour prêter serment et rendre son rapport.
L’expert est absent d’Espalion, il apprend le 23 septembre qu’il doit rendre son rapport le 27. Il se déplace à St Geniez le 26 septembre pour visiter les lieux et entendre divers témoins.
L’ancien locataire Mr Servan indique qu’ il sentait les odeurs quand le vent du midi soufflait un peu fort , mais dans ses cabinets et pas dans le corridor ni dans l’escalier du 1 er étage.
Mr Brunet, l’ancien propriétaire précise qu’il n’a pas fait établir de fosse. Le tuyau de descente des toilettes débouche dans une venette et ce sont les eaux de pluie, redirigées dans ce tuyau qui nettoient le tout. De son époque, seuls les cabinets du rez de chaussée étaient utilisés, ce qui était largement suffisant.
Mr Moulin, platrier à St Geniez a fait les travaux en mai 1907. Il a refait les joints des cuvettes et des tuyaux aux deux étages pour éviter les émanations.
Des tests sont faits, l’eau coule très rapidement dans la venette qui sépare les maisons Crouzet et Cornuejouls, le tuyau qui évacue les eaux usées fonctionne.
On monte sur les toits et on constate que les chenaux rassemblent l’eau de pluie aux points E et F dans des entonnoirs qui nettoient le tuyau des cabinets. Les points E et F sont d’ailleurs séparés.
On jette de l’eau dans les chenaux et là catastrophe !
L’eau jetée sur le côté AC tombe dans la venette au lieu de passer par l’entonnoir : l’entonnoir E est obstrué.
L’eau jetée sur le côté CD tombe sur le balcon du côté du lot car les chéneaux BG sont percés donc la partie BF ne reçoit jamais d’eau.
Des travaux sont engagés pour réparer les chenaux et déboucher les entonnoirs.
Le 11 octobre 1907, l’expert visite l’intérieur. A l’ouverture des cabinets du 1 er étage, pas « d’odeur de cabinets proprement dite mais une odeur de moisi » Il est constaté une grande humidité dans l’angle de la chambre contiguë aux cabinets (côté droit) et même dans la salle de café. C’est la première fois que Mme Raust voyait l’humidité.
Les tests de tirage de chasse et de chéneaux sont renouvelés tout fonctionne. Cependant si le chéneau a été réparé, l’entonnoir n’a pas été touché.
L’humidité est visible sur toute la hauteur du mur du premier. Aucune trace n’est présente au 2 ème étage.
Sur l’axe des cabinets, face au tuyau le plafond est très humide. Un prélèvement est fait et il est présumé que l’humidité vient de l’extérieur . On file chez le voisin et on constate que le mur extérieur est sain. L’humidité de confine aux cabinets et à une partie de la chambre des Raust et de la salle de café.
La chambre N°2 est plus particulièrement impactée par l’odeur, ce qui n’est pas le cas dans la chambre N° 1 et dans le corridor et dans les cabinets où l’odeur est plutôt celle du moisi.
Il est demandé de remplacer le carreau cassé de la porte des cabinets et de refermer quelques jours à clé. Mr Crouzet stipule qu’il est facile d’ouvrir la porte même fermée, alors on appelle le commissaire de police pour qu’il pose des scellés. Mr Barieu est chargé du travail.
L’idée est d’attendre qu’il fasse beau avant de revenir faire de nouveaux constats mais la seconde quinzaine d’octobre est très humide.
Mme Raust s’impatiente ; le 29 octobre les cabinets sont enfin ouverts
devant le commissaire et ils sentent encore “le renfermé”.
Sur la partie haute le mur est sec sur 40cm, puis légèrement humide sur 30 cm avant d’être humide sur le reste et même moisi dans la chambre N°2. Sur la partie BD l’humidité ne commence qu’à 60cm du plafond.
La glace de Mme Raust est enlevée avec précaution pour constater l’humidité. La tapisserie de la salle de café est mouillée et la banquette du café est moisie.
L’ouvrier Gleye Louis qui a déplacé la glace de la salle de café a installé les portes manteaux dans la chambre N°1 en mai. Il y avait des odeurs mais pas d’humidité.
A cause de la pluie, aucune odeur n’est constatée et il est impossible de dire ce qui se passe en période de sécheresse.
Cependant, le tuyau de descente n’a pas été descendu jusqu’au sol : les eaux jetées dans les cabinets tombant sur les matières d’une hauteur d’un mètre cinquante les font disparaitre plus rapidement. En temps de sécheresse cela pose surement problème. Il faudrait soit prolonger ce tuyau, soit adapter un tuyau siphon.
Quant à l’humidité, il semble impossible à l’expert d’expliquer son origine.
Ce n’est pas moins de 7 pages qui constituent le rapport que Mr Guibal va déposer le 19 décembre 1907 au juge de paix.
Expert nommé depuis le 27 septembre, il n’a pas ménagé sa peine pour faire avancer le dossier. Pendant l’audience du 10 janvier 1908, les conclusions précisent que « les mauvaises odeurs proviennent soit de la fumée des cheminées soit des fosses ou des cabinets d’aisances. »
Le juge de paix, semble fatigué de cette affaire qui traine depuis le mois de mai 1907.
Le jugement du 25 janvier 1908 se retournera contre les Raust qui seront déboutés et condamnés aux dépens de près de 9 mois de procès.
Sources : 4E234-20/AD12, 10U34-88/AD12, 6M332-2/AD12, 4Q927-AD12, 3E24001-AD12
© 2016 Généalanille - Article publié le 20 mai 2016
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