Comment savoir qu’un ancêtre a été condamné au bagne quand on l’ignore ? Un exemple avec le cas Gentou en Aveyron.
Jean Gentou assassine son père en 1882. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité et transporté au bagne en Nouvelle Calédonie. Il décède sur place à 75 ans.
Voici l’histoire en quelques mots. Mais essayons de la voir sous d’autres angles.
D’un point de vue de l’état civil, il n’est pas autorisé d’indiquer les causes des décès dans les actes de décès. Cependant, si on observe l’acte de décès du père la mention « est décédé sur le territoire de la commune » peut évoquer qu’il ne s’agit pas d’une mort « classique. »
Il n’a pas de mention marginale pour les actes de naissance pour Jean, pour sa femme ni pour leur fils Jean Louis.
Si on regarde les recensements de population, le couple (sans enfant) est présent dans la commune en 1881. En 1886, il ne reste que la femme et le fils. En 1891, ils ont tous « disparu. » La période correspond à des mouvements de population. Sont-ils en Amérique, à Paris, ou simplement dans un bassin économiquement plus enrichissant ?
De là imaginer un ancêtre bagnard....
Si vous avez accès à la presse numérisée et qu’en plus vous pouvez faire une recherche de texte, il serait dommage de s’en passer. Dans ce cas précis, pas de mention sur les sites « nationaux. » Par contre, la presse locale vous explique plus clairement que le dossier de procédure criminelle ce qui s’est passé. Jean a tué son père, c’est un parricide ! Le crime est suffisamment grave pour mériter le bagne.
En France, un héritier peut être déclaré comme indigne de succéder notamment pour avoir volontairement donné la mort au défunt. C’est le cas de Jean qui a tué son père.
Peut-on trouver une piste d'un ancêtre bagnard via les déclarations de successions?
Pour Jean, il n’y a pas eu de demande de déclaration d’indignité donc Jean bénéficie de la succession de son père au même titre que ses sœurs... à un détail près : il est en prison.
Plus tard, il bénéficiera aussi de la succession de sa mère tout en étant au bagne. Plus de doute alors sur l'existence d'un ancêtre bagnard.
C’est le registre matricule du bagnard qui donne des précisions sur la suite de sa vie :
Écroué dès janvier 1882 en Aveyron, Jean Gentou va rejoindre la prison de Rodez en juin 1882 en attendant son procès. L’homme « tatoué d’une cantinière sur le bras droit et d’une femme sur le bras gauche » est condamné le 6 septembre par la Cour d’Assises de l’Aveyron. Son appel est rejeté le 12 octobre.
Il embarque le 8 mars 1883 sur le Navarrin à destination de la nouvelle Calédonie où il débarque 3 mois plus tard, le 28 juin, avec d’autres condamnés.
Au bagne, Jean Gentou exerce, comme beaucoup, le métier d’effilocheur c’est-à-dire qu’il est chargé d'effilocher des déchets de laine ou des chiffons destinés à faire de la pâte à papier.
Sa conduite est bonne, il est alors proposé pour une commutation de sa peine à une durée limitée (d’abord 10 ans, et finalement 15 ans), puis pour des réductions de peine. Il est libéré en 1917.... en pleine guerre mondiale.
Mais le dossier évoque qu’il est concessionnaire à Bourail dès le 2 décembre 1890, soit 8 ans après sa condamnation. A priori, il faut au moins 10 ans pour un condamné à perpétuité pour obtenir cette faveur.
Femme et enfant ont disparu de l’Aveyron. C’est en recherchant leurs propriétés (vente/transmission) qu’on apprend que Mme Gentou vit « à la nouvelle Calédonie » dès 1893. Elle y est toujours en 1903 lors de la vente des biens de la fratrie à l’un des frères.
En fouillant du côté des passeports, on découvre que par décision ministérielle du 31 octobre 1890, Mme Gentou et son fils de 9 ans sont autorisés à embarquer pour la Nouvelle Calédonie en partant de Sète (34). Le passeport est délivré quelques jours plus tard.
NB : la date de la concession est postérieure à la décision ministérielle, ce qui n’est pas dans « la norme » qui veut que le bagnard obtienne d’abord une concession qui lui permette de faire venir sa famille.
Le couple et le fils décèdent en Nouvelle Calédonie. Auraient-ils pu revenir ?
Depuis 1868, le voyage de retour est à la charge de l’ex-bagnard. Donc, si la famille Gentou l’a rejoint, c’est qu’il ne comptait pas revoir l’Aveyron.
Et puis, il y a les proches, les voisins, l’opinion publique.
A chaque demande de réduction de peine, le maire de la commune et le juge de paix donnent leur avis.
En 1900, on peut lire « Le sieur Gentou « est insolvable. Personne ne verrait avec peine qu’il lui soit accordé une grâce quelconque pour atténuer sa peine mais il ne serait pas bien accueilli dans le pays, où son crime laisse encore une impression d’horreur. De l’avis des notables de la commune de Naussac, son retour produirait un mauvais effet. »
« Le nommé Gentou Jean dont il est question [...] a une sœur mariée dans le Tarn et Garonne je crois.
La femme Gentou [...] a un frère habitant la commune de Naussac et un frère et une sœur habitant La commune de Salvagnac saint Loup. Je crois qu’elle a d’autres frères et sœurs mais je ne les connais pas.
Soit la famille Gentou, soit la famille de sa femme ne sont pas bien aisés.
A une époque il m’a été demandé quel effet produirait la venue de Gentou dans le pays.
J’ai répondu et je réponds comme alors que Gentou ne doit plus reparaitre ici où il serait mal vu et serait la crainte de tous car avant son acte de parricide beaucoup de faits se passaient dont il était accusé mais sans preuve et son acte criminel a cru faire découvrir l’énigme. »
En 1902, la réponse est toujours aussi tranchée.
« Le nommé Gentou est insolvable. Pour vivre dans son pays natal, il devrait éprouver des difficultés, personne ne voulant l’employer à cause de son crime dont la mauvaise impression ne s’est pas encore effacée. Son retour y serait d’ailleurs très mal vu.
Il n’y a plus pour lui de situation de famille, sa femme étant allée vivre avec lui. »
L’histoire était-elle secrète dans la famille ? Il faudrait interroger les potentiels descendants.
Le décès du fils en 1959 à Bourail est suffisamment récent pour que les langues se soient déliées.
Encore une fois, il ne faut pas juger de l’histoire de notre ancêtre mais essayer de bien lire tous les indices disponibles dans les documents et profiter de la mémoire des vivants.
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