Le juge de paix était un interlocuteur privilégié dans les affaires de famille. Voici un exemple avec Mr Abraham.
De son vivant, Mr Abraham n’a probablement jamais rencontré le juge de paix... ou peut-être que oui. Sur le marché, dans la petite ville où tout deux habitaient, chez des amis communs. Car le juge de paix est un homme de proximité. Sa juridiction reste très locale...
Mr Abraham, donc, n’a jamais eu affaire avec le juge de paix.
Mr Abraham a cependant été confronté à la justice de paix via son tribunal de simple police. Deux contraventions en deux ans : une pour avoir laissé des matériaux sur la voie publique sans éclairage et une pour avoir laissé divaguer son chien sans muselière. Deux amendes de quelques francs à payer.
Mr Abraham est décédé peu de temps après son dernier PV. Aucun rapport, à priori. C’est là qu’entre réellement le juge de paix dans sa vie. Car « informé par la rumeur publique » du décès de Mr Abraham, il se rend à son domicile pour poser des scellés.
Dois-je préciser que Mr Abraham est père d’un jeune enfant, que sa femme est enceinte de 4 mois et demi et que l’avenir du couple est assez incertain car une procédure de divorce a été engagée (devant le tribunal d'instance) et que la femme a quitté l’Aveyron pour la région parisienne?
Il faut sauvegarder les intérêts des héritiers et c’est bien le but de ces scellés.
C’est le frère de Mr Abraham qui accueille le juge et son greffier. Et il leur montre le corps allongé sur un lit dans une chambre à droite en rentrant.
L’inventaire commence : table, chaises, buffet style Henri II, violon avec son étui, tapis en linoléum, tableau réclame, filtre et moulin à café, savon, des stores, une bibliothèque, etc. Et évidemment tout le matériel utilisé pour l’exploitation commerciale.
L’emplacement des scellés est noté dans l’inventaire et le frère du défunt garde la clé (et accessoirement le corps jusqu’à l’enterrement).
Quinze jours plus tard, un conseil de famille est réuni devant le juge de paix. La veuve n’est pas venue de Paris, elle a donné procuration.
Du côté paternel, sont présents : le grand père, l’oncle et un cousin du jeune garçon. Du côté maternel, ce sont 3 cousins de l’enfant.
Sans grand surprise, c’est le frère du défunt qui est nommé tuteur. La première décision du conseil est d’autoriser la veuve en tant que tutrice légale à faire le nécessaire auprès du tribunal de 1ère instance pour faire une acceptation bénéficiaire au nom du fils.
Mais la veuve étant en instance de divorce, elle souhaite donc liquider ses droits dans la succession. Un subrogé tuteur est nommé. C’est un cousin côté maternel qui assurera ce rôle.
Or, la veuve est enceinte de 4 mois et demi. Aux termes de l’article 393 du code civil, il faut nommer « un curateur au ventre » pour veiller aux intérêts de l’enfant jusqu’à sa naissance. C’est l’oncle, tuteur du jeune garçon qui est désigné par le conseil de famille.
Une fois les intérêts des enfants préservés, les scellés peuvent être enlevés. Cette opération nécessite le retour du juge de paix et de son greffier au domicile du défunt pour vérifier la concordance avec l’inventaire de départ.
Sont présents : l’avoué de la veuve, le frère du défunt et tuteur du fils, le notaire, 2 témoins et un commissaire priseur. L’inventaire complet va durer plusieurs jours et les titres et papiers sont confiés au notaire pour qu’il en fasse le dépouillement et la description ultérieurement dans son étude.
Normalement, le juge de paix n’interviendra plus dans cette famille sauf pour un conseil de famille.
L’enfant posthume est né, mais ce n’est pas ce qui provoque ce nouveau conseil de famille.
Mr Abraham était membre participant de la société de protection mutuelle et de retraite des voyageurs de commerce de la ville de Toulouse. Dans les statuts, il est prévu à l’article 30 le versement d’une indemnité à ses héritiers, en l’occurrence 3000 francs.
Mais juste avant son décès, Mr Abraham a fait savoir au siège de la société par lettre qu’il souhaite que l’indemnité soit reversée à son fils (aîné, le seul qu’il connait). Le conseil de famille, lui, veut voir l’original de la lettre!
Malheureusement la première guerre mondiale éclate. Les hommes partent sur le front et ont d’autres préoccupations que la volonté de Mr Abraham. Et puis l’enfant posthume vient de mourir. Une succession de plus à gérer !
Il faudra attendre 3 ans pour réunir ce nouveau conseil de famille et lire la lettre de Mr Abraham (dont la signature a été légalisée par le maire).
« Etant donné mon état de santé, je viens par la présente, vous informer que je désire que la somme qu’à mon décès vous devez verser à mes ayants droits, soit versée à mon fils unique .... né le... je suis séparé de ma femme et en instance de divorce.
La présente a simplement pour but d’empêcher que ma femme touche cette somme et que par contre elle soit remise à mon fils ci dessus désigné, et cela surtout si je venais à décéder avant la prononciation du divorce.
Veuillez bien m’accuser réception de la présente et prendre acte de ma demande. »
Malade, Mr Abraham craignait de mourir avant son divorce... ce qui a été le cas.
Il n’y a pas d’autres traces de cette famille dans la justice de paix de ce canton.
La succession de Mr Abraham et de son fils posthume n’ont finalement été réglées et payées à l’enregistrement que 8 ans plus tard. Le fils ainé a reçu l’indemnité prévue et sa mère s’est désistée de la succession.
La justice de paix, de part sa proximité et sa capacité à traiter « les petites conciliations », est une ressource extrêmement précieuse pour connaitre la vie quotidienne de votre ancêtre entre 1790 et 1958 (date de sa suppression). Elle peut, par ailleurs, permettre de débloquer des arbres généalogiques notamment grâce aux documents d’affaires familiales (conseil de famille, acte de notoriété, etc).
Ces documents sont à rechercher en série U dans votre salle de lecture d’archives départementales.
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