Prévoir une guerre, c’est savoir anticiper les besoins humains qui seront mobilisés sur le front et ceux qui devront rester à l’arrière.
Cependant, il faut assurer la continuité des commerces, industries et services publics en temps de guerre. Le plan prévoit alors une affectation spéciale de certains hommes.
Votre ancêtre a-t-il été « réquisitionné » au titre de l’affectation spéciale ? Quels documents d’archives rechercher ?
Le service auxiliaire a été mis en place en 1872.
Selon la loi du 21 mars 1905, et suite au conseil de révision, les hommes « atteints d'une infirmité relative sans que leur constitution générale soit douteuse, sont reconnus bons pour le service auxiliaire ».
Un conscrit est donc soit affecté au service armé (S.A.), soit au service auxiliaire (S.X.).
Par ailleurs, une personne qui, de part sa santé, ne peut effectuer ni service armé, ni service auxiliaire est dite « exemptée ». A contrario, un homme « réformé » peut l’être de manière provisoire ou définitive. Il peut donc être réaffecté au service auxiliaire.... ou au service armé !
La notion d'affectation spéciale apparait dans l'article 4 du décret du 1er août 1914 relatif à la mobilisation des armées de terre et de mer : "Le présent décret entraîne l'appel à l'activité des hommes qui ont été désignés, dès le temps de paix, pour constituer les unités de douaniers ou de chasseurs forestiers ainsi que les services accessoires de l'armée (trésorerie et postes, télégraphie militaire, sections de chemins de fer de campagne, etc.) et qui ont reçu, en conséquence, une affectation spéciale."
En cas de guerre, il existe donc des ouvriers qui restent à leur poste dans les usines, afin d’assurer une continuité de service mais qui peuvent, à tout moment, être rappelés sous les drapeaux. Ces « affectés spéciaux » sont aussi appelés « travailleurs militaires » ou « détachés ».
La loi du 1er avril 1923 réduit le service actif à 18 mois. Les hommes conscrits sont ensuite versés dans une première réserve et, au-delà de 40 ans, dans une deuxième réserve.
C’est la loi du 31 mars 1928 et son article 52 qui va créer dans la deuxième réserve, une affectation spéciale temporaire « dont l’activité professionnelle est indispensable […] à la satisfaction des besoins de l’armée ». Cet article de loi précise « en cas de nécessité absolue, les hommes du service armé appartenant à la première réserve peuvent aussi recevoir une affectation spéciale ».
L’affectation spéciale, n’est donc pas liée à des problèmes de santé, ni à une restriction d’âge.
Afin de préparer une éventuelle guerre, et donc une mobilisation générale, un plan est établi.
Il s’agit d’avoir une liste précise et à jour des ressources humaines disponibles pour combattre un autre pays, et assurer la continuité des services.
Mais l’effectif n’est pas le seul élément. Le plan est complété, par exemple dans les préfectures, d’un journal de mobilisation. Ce dernier indique par heure et par jour, quelles sont les différentes opérations que sera amené à exécuter un chef de service, et ce pendant les 20 premiers jours qui suivront la mobilisation générale.
La révision du plan est annuelle : elle permet de déterminer les personnes décédées, celles devenues invalides, celles ayant déménagé ou changé de service, etc.
Voyons les personnes concernées dans les services publics et dans le privé.
Dans les services publics, l’organisation est très structurée.
Le niveau préfectoral prévoit la mobilisation du personnel dans son cabinet mais aussi dans les services de contributions, de trésorerie, de justice, des PTT, des ponts et chaussées, l’enregistrement, les mines, le génie rural, les eaux et forêts, les dépôts d’étalon, les services vétérinaires, l’inspection du travail, la justice, l’instruction publique, les points et mesures, l’inspection de l’assistance publique et le service de placement.
Le niveau communal doit faire la même chose : les secrétaires de mairies, dactylos, concierges, les services de la police municipale et des gardes champêtres, le service technique de la voirie, le service de l’octroi et des droits de place, le service des abattoirs, le service d’hygiène et des inhumations, le service d’incendie.
Si un de vos ancêtres a exercé une profession parmi celles listées ci-dessus, il a pu potentiellement être classé dans le service auxiliaire.
La mobilisation ne concerne pas uniquement les fonctionnaires. Ainsi dans les entreprises privées, notamment celles dites sensibles, mais aussi certaines professions, il est également nécessaire d’anticiper une mobilisation générale et de prévoir les effectifs à conserver localement.
Les dossiers conservés aux archives comportent une multitude de demandes pour des professions spécifiques :
Comme pour les services publics, si un de vos ancêtre est concerné par une de ces professions, il a pu potentiellement être classé dans le service auxiliaire.
Pour mieux comprendre à quoi sert l’affectation spéciale, voici un certain nombre de questions à se poser si une guerre éclatait.
Imaginez que toutes les personnes de votre équipe actuelle soient amenées à partir pour le front. Que ce passera-t-il pour votre commerce, votre entreprise, votre service ? Exercez-vous une activité qui peut cesser sans préjudice pour la population ? Sinon, qui assurera la continuité ? Avez-vous des « sachants » indispensables pour le fonctionnement ? Pouvez-vous réduire l’activité ? Quel manque de matériau ralentirait votre activité ? Avez-vous besoins de compétences techniques ou physiques particulières pour former d’autres personnes ? Pouvez-vous rappeler des retraités ? (NB, on peut lire dans certains documents que des agents, notamment dans la police sont classés irremplaçables par « manque de retraités valides susceptibles d’assurer un service actif de jour et de nuit ». )
…. Et si on recontextualise dans la période d’entre deux guerres, une femme peut-elle exercer ce métier ?
Quand on analyse les documents des années 30, les femmes sont évidemment répertoriées et elles sont considérées comme du personnel toujours présent, puisque non mobilisables.
« Pour les désignations à faire, je vous rappelle les principes à observer qui sont les suivants :
Notez que les femmes ont largement prouvé pendant la 1ère guerre mondiale leur capacité à assurer les travaux, tant dans les fermes, les commerces ou les industries en l’absence des hommes mobilisés sur le front de guerre.
Des exemples chiffrés de l’entre-deux guerre nous montrent comment on agirait en temps de guerre.
Dans l’administration, on commencerait par calculer les effectifs nécessaires :
Un exemple de 1931 nous donne un excédent de 92 personnes parmi les instituteurs et un déficit de 17 personnes à la trésorerie générale. On choisirait donc 17 instituteurs pour changer de service et de fonctions … au moins le temps de la guerre.
Au niveau communal, des préconisations prévoient le nombre maximum de personnes à conserver en temps de guerre :
Dans certaines communes, c’est l’ensemble du personnel qui est susceptible de partir en service armé et le transfert d'un service à un autre est moins facile à organiser.
Pour savoir si votre ancêtre a été concerné par l’affectation spéciale, il faut consulter sa fiche matricule ou son livret militaire.
Vous trouverez alors une notion de tableau relatif à une région militaire.
Notez que la classification est la suivante (avec des exemples en cliquant sur le lien)
Tableau I : Les corps spéciaux
Tableau II : Les administrations et grands services
Tableau III : Les professions industrielles
Tableau IV : Les professions agricoles
Tableau V : Les professions commerciales
Tableau VI : Les catégories de Français résidant à l'étranger
Rappelez-vous qu’un ancêtre classé en affectation spéciale ne l’est pas forcément pour l’ensemble de la guerre.
La fiche matricule est un élément, mais les archives départementales et nationales ont parfois conservé des dossiers ou listings. Ils précisent généralement les noms, prénoms, classe, domicile et métier des personnes concernées.
Les dossiers les plus intéressants sont ceux qui contiennent des lettres manuscrites des demandeurs ou de leurs appuis (notables, politiques), mais surtout ceux pour qui les demandes ont été refusées.
En effet, ces refus sont justifiés
- soit parce que la personne n’est pas jugée « essentielle »,
- soit parce que la personne est déjà partie au front et qu’il est difficile de la faire revenir,
- soit parce que la norme est de refuser (l’affectation spéciale est l’exception).
Les demandes refusées ne sont évidemment pas reportées sur les fiches matricules… et c’est donc intéressant de les rechercher pour compléter l’histoire familiale
Et puis, n'oubliez pas de poser la question aux personnes vivantes (famille et amis) pour obtenir des témoignages sur le parcours militaire de vos ancêtres.
Bonnes recherches !
© 2023 Généalanille
Article publié le 20 mars 2023
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