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Réfugiée et spoliée

Le 22 juin 1940, le maréchal Pétain signe l’armistice face à l’Allemagne. La France est coupée en deux: au nord la France occupée, au sud la France libre.

La réquisition des bois privés

Par une circulaire du 11 septembre 1940, le conservateur des forêts invite les maires du département de Meurthe et Moselle à prendre toutes dispositions pour assurer le ravitaillement en bois de chauffage de la population civile et en leur prescrivant d’envisager l’exploitation des bois particuliers situés sur le territoire de leur commune, et ce, quelle que soit leur contenance.

Le conseil municipal de Saint-Ail (54) se réunit le 23 septembre 1940 et décide de lister les bois particuliers susceptibles de fournir en appoint en bois de chauffage. Il exclue les cultivateurs et les propriétaires de bois domiciliés sur la communes, estimant que ceux ci vont devoir utiliser cette ressource pour l’hiver à venir.

Restent comme bois exploitables à titre de réquisition:

  • Les biens appartenant à la société anonyme Union des consommateurs de produits métallurgiques à Hagondange composés de 6 parcelles en section C pour une contenance globale de 1 hectare 10 ares.
  • Les biens de Mme veuve Guiot demeurant 54 rue Nationale  à Longeville Les Metz (57) composés de deux parcelles en section D pour une contenance de 53 ares.

La commune “a pressenti” ces deux propriétaires et la société anonyme donne son accord le 21 octobre 1940. Mme Guiot, elle, ne répond pas.

Réfugiée en France libre

Mme veuve Guiot, demeurant à Longeville les Metz ou Rue de Pont à Mousson à Montigny les Metz (57) (selon les documents) n’a probablement jamais reçu la requête de la commune de St Ail.

Mme Guiot habite en zone annexée et fait partir des réfugiés mosellans expulsés de leur domicile pour être expédiés en zone libre. D’après son beau-frère, Albert Boehm, instituteur à Joeuf (54), elle part début octobre 1940 avec 2000 francs et 30 kgs de bagages. C’est d’ailleurs ce dernier qui devient mandataire de l’expulsée et cherche à préserver ses biens.

Les bois sont exploités

A l’automne 1940, la commune procède en accord avec le conservateur des forêts du département à la reconnaissance des deux biens listés et déclare que ceux de la société anonyme n’ont pas une ressource suffisante car les arbres sont trop jeunes et les parcelles n’ont pas un rendement suffisant. Seules les deux parcelles de Mme Guiot seront exploitées par la commune de St Ail.

Un balivage est effectué dans les mois suivants. 23 chênes, 13 frênes et 95 arbres divers soit 131 arbres sont considérés comme baliveaux et donc conservés. Cette réserve représente 247 baliveaux à l’hectare, ce qui est supérieur à celle maintenue dans les coupes soumises au régime forestier. Le reste de la propriété est abattu et produit 99m3 de bois.

Un procès verbal est établi le 18 janvier 1941 pour évaluer le prix de la coupe.

Le dénombrement donne les chiffres suivants:

  • 46 stères de rondin et charbonnette en mélange à 13f= 598f
  • 53 stères de petite charbonnette à 8f=424f

Soit un total de 1022 francs à transmettre à Mme Guiot dès qu’elle se manifestera. Elle ne signe bien évidemment pas le PV qui est enregistré 10 jours plus tard.

Le bois est rasé

Le 30 janvier 1941, Mr Boehm, beaufrère de Mme Guiot, apprend l’exploitation du bois. Il écrit au préfet pour connaitre la loi qui permet aux communes de se rendre acquéreur de biens à l’insu des propriétaires et précise que le bois n’est nullement abandonné car le paiement des impôts est à jour.

Ne recevant aucune réponse, il écrit à nouveau au préfet son mécontentement le 24 février 1941, estimant que le maire a littéralement rasé le bois alors que la réglementation donne le droit de faire une coupe dans les bois de 10 ha et au dessus et que, sur la commune, les aciéries de Rombas possèdent des bois d’une taille supérieure à ces 10 ha et que “eux” n’ont pas été exploités. Par ailleurs, il précise que chaque propriétaire de la commune, le maire y compris, possède un bois particulier et que ces biens n’ont pas subi de réquisition. Il menace alors de porter plainte au parquet.

Une enquête est déjà en cours auprès du conservateur, du maire. Le conservateur rencontre l’instituteur le 14 mars 1941. Il en ressort que le plaignant comptait acheter le bois particulier en cause et “y asseoir annuellement une petite coupe de bois” lorsqu’il jouirait de sa retraite à Batilly village voisin de St Ail. “En tant qu’amateur du bois et mandataire”, il maintient sa plainte du 24 février 1941.

La réponse formelle du préfet à l’instituteur date du 22 avril 1941. Il y expose les raisons du choix des parcelles de Mme Guiot, le tarif exprimé dans le procès verbal, la présence de 30 foyers nécessiteux (37 selon le maire) qui ont bénéficié de ces 99 stères de bois et exprime le fait que, comme les intérêts de Mme Guiot ont été préservés, l’affaire soit classée et que Mr Boehm retire sa plainte.

La guerre ne donne pas tous les droits

Mr Boehm ne faiblit pas . Dans sa lettre du 18 mai 1941 au préfet, il reproche au maire d’avoir pensé que l’affaire serait oubliée après la guerre. De plus, Mme Guiot, si elle rentre, n’aura pas de quoi se chauffer.

Il conteste également les chiffres des bénéficiaires. Evaluant à 70 ménages domiciliés à Saint Ail dont au plus 15 ménages nécessiteux « si on peut dire ». 99 stères pour 15 familles est une quantité exagérée!

Quant à reprocher à Mme Guiot de ne pas avoir répondu, il estime que “le maire aurait du s’adresser à un propriétaire local”, ainsi il aurait eu une réponse.

Enfin il exige pour réparation  une parcelle de même contenance et même valeur. Le préfet tente de négocier en ce sens mais en septembre 1941 Mr Boehm saisit le parquet de Verdun d’une plainte contre le maire de St Ail pour vol de bois. Le préfet lui répond le 18 septembre 1941 que dès lors il ne peut plus rien faire et qu’il faut attendre la réponse de la justice.

Une affaire qui se poursuit après la guerre

Deux ans après la fin de la guerre, le 11 juillet 1947, c’est Mr Berg percepteur à Ars sur Moselle qui se plaint de la taille du bois de St Ail.

Mr Guiot son beau père est mort en novembre 1938, et sa fille, épouse du percepteur, est décédée en aout 1939. Il agit donc au nom de ses enfants héritiers de ces deux personnes.

A nouveau il critique le fait que la forêt de Mme Guiot n’était pas la seule disponible à l’époque des faits et que les 1022 francs proposés sont probablement en dessous de la somme que la commune en a tiré car Mr Berg doute que le bois ait été offert et non vendu aux habitants. Il réclame 3500f d’indemnité .

Le conservateur des eaux et forêts se livrera à un calcul du tarif réel des bois coupés en fonction de leur qualité, du prix au bulletin officiel du 25 novembre 1941 et de l’arrêté interministériel du 4 aout 1942. Une fois déduits la main d’œuvre, les frais de débardage, de transport et les diverses taxes, il obtiendra un prix de 9,40f la stère de charbonnette, soit près de 28% de bénéfice pour les Guiot.

Le dossier ne précise pas qui a finalement encaissé les 1022 francs stipulés dans le procès verbal.

 

© 2015 Généalanille Article publié le 4 mai 2015

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